Décryptage : Hunter X Hunter – 50 nuances de Gon

Le manga Hunter X Hunter de Yoshihiro Togashi est intéressant à étudier de bien des manières : outre les multiples exercices de probabilités concernant le retour hypothétique de l’auteur qu’un professeur de mathématiques peut s’amuser à faire, Togashi use parfois de tout son génie pour nous délivrer des moments d’inventivité et de créativité anthologiques. J’ai justement décidé aujourd’hui de me lancer dans un exercice proche de « Slice of Like« , « Séquence » ou « 1 manga : 1 scène » à savoir essayer avec mes maigres moyens de vous décrypter la scène qui vient.

[A partir de ce moment, l’article dévoile des éléments-clés du manga (~tomes 25-30). Si vous n’avez pas lu, ne lisez pas !]

Cette scène est donc tirée du manga Hunter X Hunter, et plus précisément de l’arc des Chimera Ants (que d’ailleurs je n’aime pas trop mais bref). Petite remise en contexte pour les moins assidus : Gon, toujours sur les traces de son père, accompagné par Kirua arrive sur une île coupée du monde où une invasion de fourmis mutantes a lieu, les chimera : elles peuvent parler et se battre aussi bien que nos héros. Plusieurs péripéties plus tard, Gon se retrouve face à l’objet de toute sa haine dans cet arc, Neferpito, une fourmi chimera qui a tué un de ses amis qui se nommait Kaito ; il arrive tant bien que mal à attendre qu’elle accomplisse sa promesse, la ressurection de son ami, Neferpito ayant réussi à se faire mouvoir le cadavre de Kaito quelques chapitres avant ; elle doit cependant d’abord soigner une personnalité importante pour le roi des fourmis mutantes. L’action terminée, leur marché peut aboutir et Gon s’impatiente quant à la résurrection de l’élève de son père. Et là, Neferpito lui révèle l’inavouable vérité…

Oui, aucune ressurection n’est en fait possible. Remarquez bien la manière dont est dessiné Gon : comme d’habitude. Mais, dès la case suivante il est comme sous l’ombre, la révélation venant mettre fin aux espoirs (la lumière) de Gon.

Gon ayant les yeux entièrement noirs et un visage très simple, d’aspect candide (son trait de caractère caractéristique), il est assez difficile de lui donner les expressions très complexes relatives aux réactions face à un événement tragique tel que décrit par le Dr. Kübler-Ross (choc, déni, marchandage, dépression, acception et d’autres, c’est selon). Togashi emploie donc d’autres moyens…

Voilà par exemple, il est tellement choqué que la couleur de ses cheveux s’est inversée, belle représentation du triste sentiment de vide après une annonce du genre. Remarquez aussi les yeux qui se troublent avec l’arrivée des larmes : la modification des yeux de Gon qui jusque ici dans le manga étaient restés les mêmes symbolisent aussi l’importance de l’événement.

Nouveau zoom sur son expression, les larmes coulent. Et la où on pourrait s’attendre à une gradation (du genre blanc –> gris –> noir), mais l’auteur retourne au noir directement et préfère exprimer le déni dans l’esprit de Gon qui ne peut se faire à l’idée de la mort de son ami et le duel psychologique qu’il engage. En effet, le trait est approximatif et le remplissage est chaotique, comme ce qui se passe dans la tête de Gon.

Justement, quelques pages plus tard on retrouve Gon, dessiné dans le même état avec une représentation simple de ses pensées : floues (symbolisées par le blanc, espace infini, aucun point où se rattacher), centrées sur Neferpito la cause de cette souffrance avec autour, en gravitation, les pensées qui s’entremêlent : l’ai-je tué, suis-je fautif, non, si, enfin, c’est Neferpito, mais si je…

Rappelons encore une fois que Gon est un enfant extrêmement naïf, naïveté qui sera représentée dans ce passage par le blanc, de ses yeux, de ses cheveux ; pas d’ombrages rien. L’apparition du pouvoir de Neferpito reconcentre ses idées sur l’éventualité de la résurrection de Kaito et certains traits se retrouvent accentués. On peut s’amuser à comparer cette étape à celle de marchandage (Gon espère tirer de son accord quelque chose tout de même) ou de dépression (il a besoin de solutions pour ses maux et cette éventualité lui en apporte).

Une nouvelle parole de Neferpito va recadrer son esprit une nouvelle fois son esprit, mais sur une idée différente, antagoniste même : la volonté de tuer celle qui lui a menti et qui lui a fait du mal. Il retourne à ses esprits, petit à petit, il  rentre alors dans la phase d’acceptation.

Et là, c’est la fin des doutes : il se relève de son combat avec lui même, poncif récurrent de l’histoire pour jeunes adolescents d’ailleurs, Gon retourne dans la salle où était tout ce beau monde (jusque là, seul nous spectateurs pouvions le constater, regardez attentivement les cases où Neferpito apparaît seule, les cases où Gon apparaissant étant celles représentant sa psyché, déconnectée de la réalité).

Les trames (enfin ça en est pas vraiment vu que j’imagine que c’est Yoshihiro Togashi qui fait le trait, mais la fonction est la même ici, exprimer du mouvement) verticales cette fois ci, évoquant évidemment l’élévation de la puissance et la colère qui emplit le héros…… et qui finit par exploser… et sous quelle forme ! Un colosse, fait dans un style de dessin inédit, très typé encre de Chine, encre qui possède de multiples significations (puissance, immortalité, héroïsme). J’ai trouvé lors de la rédaction de cette article une citation d’un empereur chinois, Vouvang très intéressante à analyser et à mettre en parallèle : « Comme la pierre me [qui sert à la confection de cette encre] dont on se sert pour noircir les lettres gravées, ne peut jamais devenir blanche ; de même, un coeur noirci d’impudicité retiendra toujours sa noirceur ». Ici, bien évidemment, ce n’est pas l’idée de l’impudicité qu’il faut retenir (quoique le nombril apparent de Gon et son mini-short me laissent penser le contraire… bref) mais bien ces notions de noirceur et d’immuabilité. Cet évenement n’est pas une péripétie habituelle de Gon Freecs : elle est à marquer au fer rouge, c’est un tournant de son existence qui va le marquer et qui nous rappellera que même malgré tout sa candeur, notre héros peut aussi se montrer terriblement terrifiant.

Voici donc un des moments phares de Hunter X Hunter, qui de prime abord peut faire penser à un simple power up, comme on en retrouve beaucoup (trop ?), mais qui cache son véritable sens de manière extrêmement subtile si bien qu’à la lecture, on est inconsciemment happé dans la frénésie de Gon. Togashi est un génie…

… enfin quand il s’y met vraiment le saligaud !